Smarty : l’autre rap africain !

Smarty vient de décrocher le Prix Découverte RFI pour son album Afrikan Kouleurs. Pourtant, le rappeur burkinabé compte déjà de nombreux albums à son actif : cinq avec son premier groupe Yeleen et deux sous son nom propre dont cet « Afrikan Kouleurs ». Loin des clichés bling bling ou de ceux qu’on colle au continent africain, le jeune rappeur se livre pour Riffx. Une leçon d’intelligence !

Comment as tu découvert le rap ?

C’était en 1996 au Burkina Fasso. Au début nous imitions Mc Solaar, un artiste très populaire en Afrique puis sont arrivés IAM, Alliance Ethnik, NTM ou Busta Flex. Mon premier choc a donc été le rap français. Ensuite le rap américain avec NWA, Afrika Baambaata, 2pac et Biggie. Pour suivre l’actualité à l’époque c’était très compliqué : nos amis de France nous envoyaient le magazine Radikal avec plusieurs mois de décalage. On rappait en français, la langue officielle en Côte d’Ivoire – où je suis né – et au Burkina pour toucher le plus grand nombre possible. Mais le véritable déclic a été Positive Black Soul. Ce groupe sénégalais nous a montré la voie en intégrant des éléments musicaux africains, en chantant en wolof et parlant de notre réalité, pas celles des banlieues parisiennes ! Dès lors nous avons arrêté de copier les Français et les Américains et j’ai créé Yeleen. Après dix ans de carrière et cinq albums j’ai décidé de me lancer en solo et me voilà Prix découverte RFI !

Quelle importance revêt ce prix ?

Avec mon groupe précédent nous n’étions pas vraiment entrés dans le circuit professionnel de la musique, mais ce prix va me permettre de la faire. Je bascule dans un autre monde comme mes prédécesseurs Amadou & Myriam ou Tiken Jah Fakoly. Maintenant je suis content de l’avoir obtenu, il reste juste à le faire fructifier !

Vous évoquez Tiken Jah Fakoly qui est présent sur votre album. Que représente-t-il pour vous ?

C’est l’exemple même de l’artiste engagé, c’est un exemple tout court ! J’étais un fan avant de travailler avec lui. Il me donne des conseils, me montre les pièges à éviter, c’est un vrai grand-frère comme Magic System. Ces derniers sont peut-être moins investis politiquement dans leur musique que Tiken mais ils font un travail social énorme en Afrique pour réhabiliter des écoles et des hôpitaux !

Est-ce que cet investissement des rappeurs africains dans leur pays n’est pas la grande différence avec les rappeurs français ?

Ce serait prétentieux de juger les rappeurs français : chacun fait selon sa culture ou son environnement ! Il y a tout de même des artistes qui s’investissent dans les banlieues mais la réussite est individuelle. Chez nous, la réussite est celle de toute une famille, de toute une communauté, de tout un quartier voire de tout un pays. Tiken Jah est un bon exemple : quand il parle, c’est au nom de toute l’Afrique ! Le sentiment de fraternité est très fort chez nous mais, encore une fois, il faut respecter les différences de chacun !

Comment se porte la scène rap au Burkina ?

Elle est très vivante. On est confronté à d’autres musiques qui sont plus dansantes mais le rap est toujours là pour mettre le doigt là où ça fait mal. La musique circule à une vitesse hallucinante sur tout le continent. Les technologies sont hyper présentes et on est en train de se structurer pour enfin contrôler nos productions ! Sinon c’est un peu comme en France, on crée un morceau et le MP3 circule immédiatement. Pour gagner notre vie il faut faire des concerts. En fait la situation en Afrique est assez similaire à celle de l’Europe.

Revenons à votre album : on y trouve du rap bien sûr mais pas seulement. Vous jetez vraiment un pont entre tradition et modernité !

L’Afrique, c’est des couleurs ! Quand je suis au Burkina je suis entouré de sonorités mais si je voyage en Afrique Centrale, j’aurai d’autres influences. Au Maroc ou en Algérie ce sera encore autre chose, donc nous sommes obligés d’être très ouverts : la musique ne s’arrête pas à mes frontières. L’important c’est de prendre un échantillon de chaque pays et de le transformer en quelque chose de positif. Les politiques veulent nous diviser. Notre rôle d’artiste est de rappeler notre unité.

Qu’en est-il de la censure au Burkina, pouvez-vous tout dire ou faut-il être plus malin ?

C’est plus malin qu’il faut être et dire les choses avec beaucoup de subtilité ! Ça ne sert à rien d’aller au clash avec les hommes politiques en Afrique : on ne tient pas un round ! Il faut être stratège, se montrer au bon moment. En Afrique, il faut comprendre que les présidents ont l’âge de nos pères et qu’il faut les respecter en tant qu’aînés. Votre liberté d’expression et la nôtre sont différentes ! Il faut bien comprendre cela !

Le titre Le chapeau du chef est un bon exemple !

Tout à fait ! Cette chanson parle de la transition du pouvoir dans mon pays mais pas seulement : dernièrement en France deux leaders politiques se sont étripés pour récupérer le « chapeau du chef ». C’est donc une histoire universelle ! Les politiques dans mon pays savent de quoi parle cette chanson mais je dis ce que j’ai à dire dans le respect et la tradition qui est la mienne ! Mon combat sera toujours de mettre le doigt là où ça fait mal ! Pourtant je veux aussi montrer l’Afrique d’aujourd’hui telle qu’elle est : bouillonnante, métissée, avec un taux de croissance incroyable, tolérante : l’Afrique mérite mieux que les clichés qu’on lui colle mais nous, Africains avons nos responsabilités : la colonisation est terminée, ce ne sont pas des occidentaux qui sont au pouvoir. Il faut savoir gouverner en tant qu’Africain. Et en musique c’est la même chose : ici on me propose plein de musiques mais c’est à moi à dire « ok. Elle est bien ta “prod” mais est ce que je peux rajouter de la kora ? » Mon ADN est africaine ! Il faut la revendiquer et savoir dire non !

Propos recueillis par Willy Richert

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